jeudi 14 septembre 2006

Le fou de guerre (Dino Risi, 1985)

Dino Risi occupe une place particulière dans la cinématographie italienne. Certaines de ses œuvres, comme Une vie difficile (1961), La marche sur Rome (1962), Le Fanfaron ou encore Les monstres (1963) sont des réussites éclatantes, tandis que d’autres, par exemple Le bon roi Dagobert (1984), sont des navets monumentaux.
Risi réalise en 1985
Le Fou de guerre, un film inattendu produit par Claude Berry. La narration débute en 1940. Le sous-lieutenant Marcello Lupi (Beppe Grillo) est un médecin qui désire se spécialiser en psychiatrie. Il est incorporé dans la 31e section du Service de santé de l'armée italienne, stationnée en Libye. Il y rencontre le capitaine Pilli (Coluche), dont les troubles psychologiques le passionnent rapidement.
Dino Risi, réputé pour être le spécialiste de la comédie italienne, réalise un vaudeville dont l'intérêt principal est de présenter une féroce satire de l’armée. Les militaires sont allégrement caricaturés à travers une galerie de personnes pittoresques. Le soldat sarde est un berger analphabète, le commandant Belucci (Bernard Blier) est obsédé par l’idée de retourner à Rome pour retrouver sa jeune épouse, tandis que Pilli, cleptomane et fétichiste, est le personnage le plus farfelu de la troupe. Il collectionne les bouchons de limonade, aime danser le tango avec des hommes, fait l’amour avec les mouches, se déguise en fatma pour amuser ses compères et exerce accessoirement la profession de chirurgien.
L’institution militaire est constamment tournée en dérision. Les officiers sont présentés comme des cocus et des paresseux. Certains dialogues restent d’anthologie. Marcello regarde la photographie de l’actrice italienne Alida Valli. Pilli exprime alors son admiration :
« C’est ma femme préférée, après ma mère bien évidemment, et après le Duce ! ». On retrouve également les gags scatologiques que Risi emploie régulièrement dans ses films. Les officiers ont été conviés à la table du seigneur de l’oasis. Pilli a cependant été consigné par ses camarades et ne peut participer au repas. Pour se venger de cet affront, il fait livrer au seigneur un flan, qu’il a confectionné à partir de ses déjections. On se souvient, dans Le bon roi Dagobert, que le monarque (également interprété par Coluche) demandait à ses favorites de renifler l’odeur répugnante de ses selles du matin.
Parfois, quelques nouvelles de l’offensive italienne sur le front libyen parviennent aux soldats, qui ne semblent pas pressés de prendre part au combat. Un événement notable se produit néanmoins lorsque Pilli remplace le commandant Belucci, ravi d’être enfin muté à Rome. Le scénario donne alors au personnage certains traits tyranniques qui rappellent la figure de Caligula. Un matin, le nouveau commandant se rend compte que le chacal, qui hurlait toutes les nuits autour du camp, a été abattu. Sa colère est terrible, et il ordonne que la bête soit enterrée avec les honneurs militaires. Cet épisode est une référence fameuse au cheval que Caligula voulut faire consul. Pilli, à l’instar de l’empereur romain, désacralise un privilège normalement réservé aux hommes de valeur. Il révèle ainsi la vacuité des artifices militaires, n’hésitant pas non plus à malmener ou à humilier les plus gradés.
Les excentricités du despote exaspèrent rapidement les officiers. Ces derniers décident d’envoyer une lettre anonyme pour dénoncer son incapacité à diriger la section. Cependant, les deux inspecteurs chargés de l’enquête renoncent à interner le comandant lorsqu’ils apprennent que ce dernier prétend entretenir une solide amitié avec le maréchal Graziani. Risi dénonce ici la veulerie des militaires, qui préfèrent ne pas compromettre leur carrière plutôt que d’empêcher les agissements d’un irresponsable.
Les conséquences de la faiblesse des inspecteurs sont dramatiques. Dans un élan d’orgueil, Pilli tente d’opérer un soldat gravement blessé. Son inaptitude et sa maladresse causent la mort du pauvre homme, sous le regard alarmé des autres officiers. Le personnage, totalement désemparé, pleure dans le plan suivant et prend conscience, l’espace d’un instant, de la dangerosité de son incompétence.
Pilli finit tout de même par être démis de ses fonctions lorsque le commandement apprend la destitution de Graziani. Marcello le retrouve des mois plus tard, alors qu’il est devenu l’amant et l’homme à tout faire d’une tenancière de maison close. Le lieutenant se souvient alors des frasques de son ancien supérieur. Lors d’un flash-back édifiant, Pilli gravit une dune et fait semblant de tuer ses comparses, qui se prêtent allègrement au jeu. Cette pantomime burlesque, accompagnée de
La chevauchée des Walkyries en fond musical, dénonce évidemment l’héroïsme militaire, que Risi s’amuse à parodier.
L’absurdité de la guerre est directement évoquée lorsque Marcello réintègre le front. Un travelling horizontal suit le protagoniste qui sort d’une tranchée, puis la caméra descend et montre en plongée un alignement de corps anonymes qui sont recouverts. Seules les bottes des soldats sont apparentes. Les Italiens meurent ainsi inutilement loin de leur patrie d’origine. Pour la gloire d’un régime agonisant.
La mort de Pilli est toute aussi futile. Exalté, il rejoint les unités germano-italiennes et montent seul à l’assaut. Ironie du sort : il est abattu par ordre du commandant allemand, afin d’éviter de rompre la trêve convenue avec les Britanniques.
Son corps est inhumé et reçoit les honneurs qu’il espérait tant de son vivant. Le film se termine alors qu’un tir d’artillerie contraint les soldats à prendre la fuite, abandonnant la sépulture de Pilli au milieu du désert. Un zoom avant permet de lire l’année de naissance et de mort du militaire, héros grotesque d’une armée italienne en pleine déliquescence.

Aurélien Portelli

LE FOU DE GUERRE
Réalisation : Dino Risi. Interpétation : Coluche, Beppe Grillo, Fabio Testi, Bernard Blier. Durée : 1h48. Année : 1985

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